Au point de vue architectural, le projet de Eugène-Étienne Taché s’inspire du style Second Empire qui a cours en France au 19e siècle.
Fervent francophile, Taché est influencé par le rayonnement culturel qui émane de Paris sous le règne de Napoléon III (1852-1870). La Ville Lumière détient sans contredit le titre de capitale culturelle de l’Occident et l’essor architectural spectaculaire qu’elle connaît a des échos jusqu’en Amérique du Nord.
Toutefois, en raison des limites budgétaires du gouvernement provincial, l’architecture Second Empire de l’hôtel du Parlement sera plus sobre que celle qui est en vogue en France.
La construction de l’hôtel du Parlement se fait en deux étapes au cours desquelles Eugène-Étienne Taché fait de nombreux ajustements en cours de chantier.
Lors de la première étape (1877-1880), on construit les ailes sud, ouest et nord, destinées aux ministères. On termine ensuite l’édifice (1883-1886) en construisant l’aile principale, appelée le « Palais législatif ».
En plus de doter le gouvernement provincial de l’espace dont il a grand besoin, l’hôtel du Parlement s’inscrit, par son architecture et son ornementation, dans la volonté de construire à Québec un édifice digne d’une capitale.
Entreprise au printemps de 1877, la première phase de la construction occupe jusqu’à 400 hommes de différents corps de métiers, dont la majorité vient de Québec.
Comme aucun édifice de la région de Québec n’avait jamais encore été construit avec un travail de sculpture sur pierre aussi important, les entrepreneurs et les officiers gouvernementaux engagent des ouvriers spécialisés à Montréal.
Ce choix, conjugué à des baisses de salaires, provoque en 1878 une grève qui dégénère en affrontements violents entre travailleurs et soldats et qui se solde par deux morts et plusieurs blessés.
Néanmoins, une fois le calme revenu, les travaux vont bon train : à l’automne de 1879, la construction est avancée, et on profite de l’hiver pour réaliser la finition intérieure.
Grâce à une surveillance serrée du gouvernement, il n’y a pas de dépassement de coûts. Le total se chiffre à 392 000 $, soit environ 13 % du budget annuel de l’époque.
On enclenche la seconde phase dès 1880. Une fois les travaux de terrassement terminés, on lance, en novembre 1882, l’appel d’offres pour la construction de la dernière aile, qui logera les deux Chambres.
Le rôle que joue le premier ministre Joseph-Alfred Mousseau dans l’attribution de ce contrat à l’entrepreneur Alphonse Charlebois a des apparences de favoritisme, mais une commission d’enquête qui fait grand bruit le disculpe.
En savoir plus : « Le chantier du siècle », « L'affaire Mousseau-Charlebois » et « Attentats à l'hôtel du Parlement»
Au printemps 1883, le chantier est en activité, mais il rencontre rapidement des difficultés importantes.
Le 19 avril, un incendie détruit le vieux parlement qui se trouve sur la côte de la Montagne. Les parlementaires n’ont plus d’endroit où siéger! On est obligé d’aménager et de meubler à grands frais des Chambres temporaires dans l’édifice en construction : l’Assemblée législative est installée au rez-de-chaussée de l’aile inachevée, tandis que le Conseil législatif est logé dans la bibliothèque. Ces aménagements sont terminés à temps pour la session qui s’ouvre le 27 mars 1884.
Six mois plus tard, le 11 octobre, les travaux sont de nouveau retardés par l’explosion de deux bombes qui ébranlent la façade de l’aile en construction. C’est la consternation dans la ville.
La police contrôle les centaines de badauds accourus sur la scène de l’attentat, lequel n’a fait aucune victime. L’ampleur des dégâts force la reconstruction d’une section de l’aile endommagée. D’innombrables rumeurs courent sur l’identité des auteurs de l’attentat. Une enquête est menée, mais elle est abandonnée quelques mois plus tard, faute de pistes.
Tous ces imprévus causent des délais et augmentent les coûts. La construction de cette seconde phase aura été beaucoup plus onéreuse que la première. L’entrepreneur Charlebois, qui avait soumissionné pour 185 000 $ en 1883, va facturer une somme totale de 1 million, dont 875 000 $ en extras.
Ces dépassements s’expliquent également par le fait que la surveillance du chantier par les officiers du gouvernement est moins efficace qu’au cours de la première phase de construction.
Ce n’est que le 8 avril 1886 que les parlementaires vont siéger dans le salon Vert (aujourd’hui salle de l’Assemblée nationale) et le salon Rouge (aujourd’hui salle du Conseil législatif).
La construction de la tour centrale est également achevée en 1886 et des travaux de finition se poursuivent au cours des années suivantes : aménagement des parterres, ornement des façades et des espaces intérieurs.
Eugène-Étienne Taché est né à Montmagny le 25 octobre 1836. Son père, Étienne-Paschal Taché, est député au Parlement du Canada-Uni avant de devenir ministre, puis conseiller législatif et premier ministre. Il est aussi l’un des Pères de la Confédération de 1867.
Le jeune Eugène-Étienne s’initie au métier d’ingénieur civil et d’arpenteur sous la direction de l’architecte et arpenteur Frederick Preston Rubidge.
Il termine son apprentissage à Québec, en 1860, auprès de Charles Baillairgé, l’architecte le plus éminent de cette époque. L’année suivante, il est engagé au département des Terres de la Couronne de la province du Canada.
Peintre et illustrateur à ses heures, Taché présente 14 dessins à l’Exposition universelle de Paris, en 1867. Son séjour en Europe est l’occasion d’approfondir sa culture architecturale.
À son retour, il devient commissaire adjoint (c’est-à-dire sous-ministre) au département des Terres de la Couronne de la province de Québec. Il occupe ce poste de 1869 jusqu’à sa mort, en 1912.
Taché se fait remarquer comme étant « un travailleur consciencieux et assidu, appliqué à remplir tous ses devoirs, les moindres comme les plus importants1».
Même s’il n’a pas de formation en architecture, il dessine, en 1874, les plans d’une série d’arcs de triomphe temporaires pour célébrer le deuxième centenaire du diocèse de Québec.
L’année suivante, il reçoit du gouvernement de Charles-Eugène Boucher de Boucherville le mandat de préparer les plans de l’hôtel du Parlement.
Taché entend faire en sorte que son projet rehausse le prestige de la capitale et marque le paysage de Québec.
Pour ce faire, il s’inspire du style français néorenaissance Second Empire et des travaux d’agrandissement du Louvre, réalisés à Paris de 1848 à 1852.
Véritable artiste, il donne un style unique à l’hôtel du Parlement ainsi qu’aux autres édifices de la Capitale qu’il dessine, comme le palais de justice, le Manège militaire et le Club de la Garnison.
Les réalisations de Taché, qui longent l’axe de la Grande Allée, marquent définitivement l’image architecturale unique de la ville de Québec et son statut de capitale.
L’hôtel du Parlement et ses parterres sont dédiés à la gloire des femmes et des hommes qui ont marqué l’histoire du Québec et de l’Amérique française par son concepteur Eugène-Étienne Taché.
Ce lieu fortement symbolique raconte une aventure que Taché est parvenu à résumer en une devise : Je me souviens.
Ces trois mots, Taché les a fait graver au-dessus de la porte principale de l’édifice, sous les armoiries du Québec. Ils correspondent, écrivit-il un jour dans une lettre, à « l’ensemble des souvenirs que je veux évoquer ». C’est en 1939 que Je me souviens devient officiellement la devise du Québec. En 1978, le gouvernement du Québec l’inscrit sur les plaques d’immatriculation.
À l’hôtel du Parlement, on peut voir la devise en 5 endroits :
Par ailleurs, le Royal 22e régiment, créé en 1914 et basé à Québec, a aussi adopté « Je me souviens » comme devise.
En savoir plus: Vidéo Taché et la devise
Un mythe tenace s’est développé autour de la devise du Québec. À tort, certains croient que la vraie devise de Taché serait plutôt : « Je me souviens que né sous le lys, je croîs sous la rose ». Pour ces derniers, il faudrait être reconnaissant envers la rose, autrement dit, la Grande-Bretagne, d’avoir protégé et fait prospérer le lys, c’est-à-dire le Québec issu de la France.
Cette croyance remonte à 1908, quand Taché a fait graver : « Née sous les lis, Dieu aydant, l’œuvre de Champlain a grandi sous les roses » sur la médaille commémorative du tricentenaire de la ville de Québec.
La tradition a ensuite faussement associé les deux devises pour n’en former qu’une seule.
1 Pierre-Georges Roy, La famille Taché, Lévis, 1904, p. 64.