Si les femmes ont aujourd’hui les mêmes droits politiques que les hommes au Québec, elles les ont acquis au prix de nombreuses luttes tout au long d’un parcours difficile.
C’est pour rappeler la dureté de ces luttes que l’Assemblée nationale a autorisé la création du Monument en hommage aux femmes en politique.
Dévoilée le 5 décembre 2012, cette œuvre de Jules Lasalle montre 4 femmes d’exception qui, chacune à leur manière, n’ont cessé de réclamer davantage de droits politiques pour les femmes.
Il s’agit de Marie Lacoste Gérin-Lajoie, d'Idola Saint-Jean, de Thérèse Casgrain et de Claire Kirkland-Casgrain, figures emblématiques de la lutte des femmes pour toutes les Québécoises.
L’inauguration du monument a été effectuée par Pauline Marois, première femme de l’histoire du Québec à exercer la fonction de première ministre. Cet événement a de plus coïncidé avec le 50e anniversaire de l’élection de Marie-Claire Kirkland.
Situé du côté sud de l’hôtel du Parlement sur les parterres de l’Assemblée nationale, le Monument en hommage aux femmes en politique s’offre au regard des Québécois et touristes qui parcourent la Grande Allée, l’une des artères les plus fréquentées de la ville de Québec.
Fait intéressant, ce monument est placé entre les statues de Maurice Duplessis et de Louis-Joseph Papineau, deux des plus farouches adversaires du droit de vote des femmes. La statue d’Adélard Godbout, dont le gouvernement a voté en 1940 la loi donnant le droit de vote et d’éligibilité aux femmes, est également à proximité.
Quel visage donner à un monument qui doit symboliser la lutte de milliers de femmes? Quels personnages choisir? Sur quels critères? Doit-on créer un monument avec un ou plusieurs personnages ou se diriger vers l’art abstrait?
La question a été tranchée en choisissant 4 figures qui ont marqué les étapes de cette lutte.
Chacune à leur façon, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean, Thérèse Casgrain et Marie-Claire Kirkland ont fait avancer la cause des femmes à leur époque.
Dès son jeune âge, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie réalise les inégalités de droits envers les femmes. Toute sa vie, elle va lutter pour l’égalité des sexes, bien servie par ses talents de pédagogue, d’organisatrice et ses convictions inébranlables.
Militant à partir de 1893 au sein du Conseil national des femmes du Canada, elle publie en 1902 son Traité de droit usuel. Le succès de cet ouvrage qui informe les femmes sur leurs droits juridiques lui vaut d’être réédité et traduit en anglais.
En 1907, Lacoste-Gérin-Lajoie participe à la fondation de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, un regroupement féministe francophone et catholique. Devenue présidente en 1913, elle en fait une véritable organisation militante dotée d’un journal ─ La Bonne Parole ─ qui donne de l’ampleur au discours féministe.
En 1908, elle participe activement à la fondation de l’École d’enseignement supérieur pour les jeunes filles. Jusque-là, aucun établissement francophone au Québec ne décernait aux filles le diplôme nécessaire à l’admission aux études supérieures.
En 1922, Lacoste-Gérin-Lajoie est l’une des fondatrices du Comité provincial pour le suffrage féminin. L’année suivante, elle est à la tête d’une délégation de 400 militantes qui se rend à Québec pour demander le droit de vote et d’éligibilité des femmes. C’est aussi en grande partie grâce à elle si l’Assemblée législative modifie le Code civil, en 1931, pour donner à la femme mariée le plein contrôle de ses avoirs et de son salaire.
Véritable pionnière, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie inspirera toute une génération de féministes : son action amorce les luttes des décennies suivantes.
Le parcours d’Idola Saint-Jean est original à plusieurs égards au sein du mouvement féministe.
Professeure de français à l’Université McGill, elle est secrétaire du Comité provincial pour le suffrage féminin à partir de 1922.
Cinq ans plus tard, elle fonde l’Alliance canadienne pour le vote des femmes, l’une des deux plus importantes associations féministes du Québec. En 1930, elle se présente comme candidate aux élections générales fédérales dans le comté de Saint-Denis. Elle ne remporte pas la victoire, mais récolte 1732 voix grâce à des discours centrés sur des thèmes électoraux résolument suffragistes.
Pour Saint-Jean, le vote des femmes est la clé pour corriger les injustices sociales dont elles sont victimes. Indépendante, elle réclame notamment l’égalité juridique entre les sexes et l’autonomie financière pour les femmes. Elle mène ses combats sur de nombreuses tribunes, dont La Sphère féminine, revue qu’elle rédige et publie jusqu’à son décès.
Véritable franc-tireuse, Saint-Jean est souvent en rupture avec les autres militantes féministes quant aux moyens à utiliser pour faire triompher leur cause. Elle n’en demeure pas moins l’une des figures dominantes de la lutte pour les droits des femmes au Québec.
Fille de Rodolphe Forget, grand financier et homme politique, Thérèse Casgrain fait sa marque en consacrant sa vie à l’avancement de la cause féministe et à l’aide aux démunis.
Très tôt, elle participe activement à la lutte du Comité provincial pour le suffrage féminin. En 1927, le Comité se divise en deux mouvements distincts et l’un des deux, la Ligue des droits de la femme, est dirigé par Casgrain jusqu’en 1942.
Le réseau social et politique de Casgrain fait d’elle une militante influente qui ouvre aux féministes les portes des cénacles du pouvoir.
Son époux, Pierre Casgrain, est vice-président de la Chambre des communes à Ottawa. Membre du club des femmes libérales, elle convainc Adélard Godbout, en 1938, d’inviter 40 femmes au congrès du Parti libéral et elle réussit à inscrire le suffrage féminin au programme de ce parti. Puis elle encourage le nouveau premier ministre Godbout à tenir tête au cardinal qui, en 1940, s’oppose toujours à l’adoption de cette mesure.
Casgrain fait ensuite le saut en politique active. Bien qu’elle ne réussisse pas à se faire élire aux élections fédérales et provinciales, elle devient la première femme à diriger un parti politique au Canada, le Parti social-démocrate (1951-1957).
Tout au long de sa vie, l’esprit d’initiative et l’implication sociale de Thérèse Casgrain la poussent à fonder plusieurs associations et organismes à caractère politique. Elle participe notamment à la fondation, en 1966, de la Fédération des femmes du Québec et siège comme sénatrice indépendante en 1970 et en 1971 au Parlement d’Ottawa.
Marie-Claire Kirkland est née en 1924. Elle est avocate lorsqu’elle est élue députée de la circonscription de Jacques-Cartier en 1961, succédant ainsi à son père dans cette fonction.
C’est la première femme de l’histoire du Québec élue au Parlement québécois. Le 5 décembre 1962, elle accède au cabinet de Jean Lesage comme ministre.
À ce titre, elle réalise une importante réforme du Code civil en 1964 qui met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées. Celles-ci peuvent désormais exercer une profession, gérer leurs propres biens, intenter des actions en justice et conclure des contrats comme la signature d’un bail pour un logement.
Toujours en 1964, Kirkland est nommée ministre des Transports et des Communications. Juste avant de quitter la politique active, elle présente le projet de loi créant le Conseil du statut de la femme, en 1973.Elle est ensuite nommée juge à la Cour provinciale du Québec, fonction qu’elle occupe jusqu’en 1991.
Par sa contribution unique à la société et sa brillante carrière, Kirkland demeure un véritable symbole de la cause féministe au Québec.
Comment se prépare un artiste pour créer une œuvre comme le Monument en hommage aux femmes en politique ? Son travail est-il influencé par la signification historique du sujet ? Comment fait-il pour fixer dans le bronze les traits des personnages dont on célèbre la mémoire ?
Un artiste n’a pas devant lui un bloc de bronze qu’il transforme en silhouette, loin de là. Au-delà du génie, la sculpture est une entreprise longue et complexe où rien ne doit être laissé au hasard.
Jules Lasalle, le sculpteur québécois qui a été choisi pour réaliser l’œuvre, n’en est pas à ses premières armes. Il a participé à près d’une quarantaine de manifestations culturelles et de projets d’art public depuis 1980.
C’est à lui qu’on doit la statue en hommage à Robert Bourassa (2006), située sur la colline Parlementaire, et une œuvre en hommage aux femmes des communautés religieuses qui, depuis 1639, ont consacré leur vie à l’instruction et à l’éducation (1997).
On lui doit aussi d’autres œuvres dédiées à des femmes d’exception, dont Marguerite Bourgeoys dans le Vieux-Montréal (1988) et Catherine de Saint-Augustin à l’Hôtel-Dieu de Québec (1990).